Bilan des Primaires 2022: produire des candidats légitimes aux élections présidentielles de 2027

2025-08-29, par Pierre Puchaud

Les échéances présidentielles de 2027 approchent à grands pas, et le passage par la case primaire sera certainement nécessaire pour un certain nombre de familles politiques ; faisons un retour sur les processus de désignation des candidats aux élections présidentielles. En 2022, quatre primaires ont eu lieu : trois dans des partis politiques (Les Républicains (LR), Europe Écologie Les Verts (EELV), Parti Socialiste (PS)) et une autre organisée par la Primaire Populaire (PP), qui a tenté de désigner un candidat commun de la gauche. À Mieux Voter, nous avons un regard critique sur les scrutins et en particulier les mécanismes des modes de scrutin, qui conduisent à des situations de tensions politiques que nous pensons possible d’éviter, ou tout du moins de limiter.

Cette article permet de s'interroger sur la meilleure manière d'organiser une primaire dans la perspective d'une victoire de 2027 et qui souhaitent écouter des arguments d’analyses techniques pour utiliser un autre mode de scrutin pour désigner un candidat. On expliquera ici pourquoi le scrutin uninominal à deux tours est un mauvais mode de scrutin pour une primaire, en illustrant avec les exemples des primaires de 2022.

Les candidats dans un mouchoir de poche

Les candidats dans un mouchoir de poche au 1er tour : les cas LR et EELV. Tant chez LR que chez EELV, les résultats du 1e tour ont mené à un résultat extrêmement serré. Chez LR, les quatre principaux candidats se tenaient en moins de 3,5 points de pourcentage (pour rappel : Eric Ciotti 25,59 %, Valérie Pécresse 25,00 %, Michel Barnier 23,93 % et Xavier Bertrand 22,36 %). Chez EELV, l’écart entre les quatre principaux candidats était quant à lui de 5,5 points de pourcentage (pour rappel : Yannick Jadot 27,70 %, Sandrine Rousseau 25,14 %, Delphine Batho 22,32 % et Eric Piolle 22,29 %). Cette répartition équilibrée des voix au 1er tour montre que tous les candidats ont une base de soutien significative et une capacité potentielle à rassembler au-delà de leur socle initial s’ils étaient passés au 2nd tour, mais il illustre aussi parfaitement comment le scrutin uninominal à deux tours conduit à l'élimination de candidats légitimes à cause des choix contraints que doivent faire les votants. Les votants ne peuvent choisir qu’un candidat et rejeter tous les autres. Bien que les candidats soient pourtant tous légitimes, le processus de désignation ne l’est pas.

Difficultés à reconnaître la légitimité du gagnant au 2ᵉ tour. Ces deux primaires ont mis en lumière des difficultés quant à l'acceptation du vainqueur par l'autre finaliste, semant la division. Chez EELV, la victoire de Yannick Jadot sur Sandrine Rousseau fut acquise avec une marge infime (51,03 % vs 48,97 %). Après un 1er tour aux scores très serrés pour quatre candidats, une victoire étroite au 2nd tour peut faire croire aux perdants que leur défaite tient davantage aux mode de scrutin qu'à un vrai manque de soutien. D’ailleurs Sandrine Rousseau avait demandé des garanties programmatiques à Yannick Jadot à cause de ce score très proche, Delphine Batho et Eric Piolle auraient pu aussi en exiger. Chez Les Républicains, la situation illustre une distorsion manifeste entre le 1er et le 2nd tour, source d'incompréhension pour une partie des votants et du candidat. En effet, Valérie Pécresse, arrivée seconde au premier tour, a remporté le second tour plus largement (60,95 %) face à Eric Ciotti (39,05 %), qui était pourtant en tête initialement. Ce report de voix par défaut et plutôt que par adhésion, a fragilisé l'unité derrière la candidate désignée. De plus, Éric Ciotti, avec sa base d’adhésion arrivée 1ère au 1er tour (25,59 %) s’est depuis lentement isolé de son parti. Dans les deux cas, le scrutin uninominal à deux tours, en forçant un choix binaire après avoir écarté des options proches en popularité, exacerbe les divisions et rend le rassemblement, car sa légitimité n'est pas unanimement ressentie comme évidente, parce qu'elle est surtout mal mesurée. Dans les deux cas, le scrutin uninominal à deux tours, en forçant un choix binaire après avoir écarté des options proches en popularité, exacerbe les divisions. Le rassemblement est d'autant plus difficile que l'adhésion et le consensus ne sont pas pas bien mesurés.

Les perdants ont raison de trouver le scrutin illégitime. Ce sentiment d'illégitimité et les divisions nées pendant les primaires de 2022 ne sont pas le fruit du hasard, mais bien les conséquences prévisibles d'un scrutin uninominal à deux tours dont les défauts sont connus et critiqués par la science depuis plus de 200 ans. Pour que les primaires atteignent leur objectif – désigner un candidat rassembleur et légitime – il est impératif d'adopter un mode de scrutin qui garantisse une expression pleine et entière des jugements, en permettant aux votants d'évaluer chaque candidat individuellement. Cela permettrait de dépasser les "choix contraints" et les reports de voix par défaut, sources de frustration et de légitimité contestée, car le scrutin actuel empêche les électeurs de nuancer leur opinion sur l'ensemble des candidats. Neutralise les effets pervers du vote stratégique. En éliminant la dynamique du second tour et les calculs qui l'accompagnent, on favoriserait un choix plus sincère. Un système de vote doit résister le mieux possible aux manipulations tactiques. Le gagnant doit être celui qui rassemble les votes sincères, et non pas les votes stratégiques, comme le permet aujourd’hui le mode de scrutin. Empêche le "jeu des candidatures”. La configuration de la ligne de départ, avec l'ajout ou le retrait de candidats, ne devrait pas arbitrairement avantager ou désavantager d'autres candidats. L'adoption de mécanismes électoraux qui intègrent ces principes n'est pas une simple question technique ; c'est une condition essentielle pour renforcer la démocratie interne des partis et, in fine, la confiance dans le processus de désignation des candidats aux plus hautes fonctions.

Pourquoi le jugement majoritaire ? À Mieux Voter, nous voyons dans le Jugement Majoritaire (JM), conçu par deux chercheurs du CNRS, l’outil le plus abouti pour répondre à ces exigences. Il est le produit d’un consensus scientifique et adresse les trois problèmes exposés ci-dessus. Le principe est simple : chaque électeur attribue à chaque candidat une mention comprise entre « Excellent » et « À rejeter » ; la médiane de ces mentions détermine le classement final, un protocole précis départageant les égalités. En consacrant le candidat dont la mention majoritaire est la plus haute, le JM fait disparaître les distorsions entre premier et second tour ; confère au vainqueur une légitimité collective, car fondée sur une appréciation globale plutôt que sur un duel polarisant ; n’avantage ni les « centristes tièdes » ni les figures clivantes : quiconque obtient une majorité d’« Excellents » l’emporte, même face à un rejet minoritaire marqué. Par ailleurs, le résultat des 400 000 votants de la Primaire Populaire 2022 a permis de désigner Christiane Taubira comme gagnante claire grâce à ce mode de scrutin, bien que le processus mis en place par l’organisation n’ait pas été reconnu par les autres candidats.

Et la primaire du Parti Socialiste ? Malgré des chiffres incontestables (72,3 %), Anne Hidalgo ne s’est pas engagée dans une campagne contre les autres candidats de la gauche. Ce chiffre a créé une adhésion artificielle qui ne reflète pas l’opinion. Bien que non engagée dans la primaire populaire, elle est arrivée seulement 4ème. Le jugement majoritaire, permettant de supprimer le jeu des candidatures, la candidate ne devrait pas avoir peur de se présenter face à tout son spectre de gauche dans une primaire. Car contrairement aux élections présidentielles, le jugement majoritaire neutralise le « jeu des candidatures ». Tout l’éventail des sensibilités de gauche pourrait se présenter sans crainte : les dites « petites » candidatures ne siphonneraient plus les voix des « grandes ». C’est même l’occasion idéale pour chaque formation de mesurer la force authentique de son ancrage, grâce à un vote sincère qui n’incite plus les électeurs hésitants à s’autocensurer par peur du « vote inutile ».

Une décision stratégique pour 2027. L’expérience de 2022 montre que le système actuel cumule les paradoxes ; persister serait accepter d’ouvrir de nouvelles brèches dans l’unité partisane. Tester dès 2025 le Jugement Majoritaire – par des primaires blanches, des sondages internes ou des simulations publiques – offrirait à chaque formation la possibilité de sécuriser, pour 2027, une investiture incontestée et un camp déjà rassemblé le soir du vote. L’enjeu dépasse la technique : il s’agit de donner à la présidentielle un·e candidat·e dont la légitimité sera un atout, non un débat.